Refonder la gouvernance RH : du langage à l’action stratégique
De la fonction administrative au levier stratégique
La fonction Ressources Humaines vit une mutation profonde. Longtemps perçue comme un service administratif chargé de gérer le personnel, elle s’impose désormais comme un levier de performance et de résilience organisationnelle.
Comme le souligne Aline Scouarnec, professeure à l’IAE de Caen, la Direction des Ressources Humaines « n’est plus seulement un rouage du système, mais un levier de robustesse organisationnelle ».
Selon McKinsey (The HR Advantage, 2024), les entreprises où la fonction RH est considérée comme stratégique enregistrent une croissance annuelle supérieure de 2,5 points à celle de leurs concurrents. Dès lors, la question n’est plus de savoir si la fonction RH doit évoluer, mais comment elle redéfinit son rôle, son langage et son périmètre d’action dans un environnement marqué par la complexité, l’incertitude et la recomposition du travail.
Changer de nom : un acte de gouvernance, pas de communication
Changer le nom d’un département RH n’est pas un exercice cosmétique. C’est un acte de gouvernance. Le langage traduit les représentations internes d’une organisation : il dit ce que l’entreprise valorise, ce qu’elle place au centre de son modèle.
Parler de Ressources Humaines revient à considérer l’humain comme un moyen, au même titre que les ressources financières ou technologiques. Or, dans une économie fondée sur l’intelligence collective, la créativité et la responsabilité, cette logique instrumentale atteint ses limites.
Les entreprises les plus avancées ne parlent plus de “ressources”, mais de “talents”, de “relations humaines”, voire de “capital humain”. Ces terminologies ne relèvent pas du marketing interne : elles expriment une transformation structurelle de la place de l’humain dans la stratégie.
Nommer autrement, c’est décider autrement
La dimension sémantique, souvent négligée, agit comme un révélateur de maturité managériale.
Les organisations qui évoluent vers une “Direction du Développement Humain” ou une “Direction de la Transformation Humaine” ne se contentent pas de moderniser leur vocabulaire. Elles affirment que la fonction RH n’est plus périphérique, mais constitutive de la gouvernance stratégique.
👉 Nommer autrement, c’est décider autrement. Ce changement de dénomination s’accompagne d’une refonte de la posture : on passe d’un service d’exécution à une instance d’arbitrage et d’influence.
👉 Le dirigeant RH devient un architecte du système social, un garant de la cohérence entre stratégie, culture et engagement.
De la gestion des effectifs à la régulation des équilibres
Cette évolution répond aussi à une transformation des attentes sociétales.
Les collaborateurs ne se perçoivent plus comme des “ressources” appartenant à l’entreprise, mais comme des partenaires de projet dont la valeur repose sur la compétence, l’expérience et la capacité à innover.
Dans ce contexte, le département RH doit incarner un modèle relationnel fondé sur la confiance, la transparence et le sens.
Il s’agit moins de gérer des effectifs que de réguler des équilibres : entre performance et bien-être, entre autonomie et responsabilité, entre collectif et individualisation des parcours.
👉 En ce sens, la mutation sémantique du nom du département devient un levier de transformation culturelle.
La gouvernance RH, miroir du modèle organisationnel
Le langage révèle également la manière dont l’entreprise conçoit sa gouvernance.
Dans les organisations à gouvernance verticale, la fonction RH reste souvent cantonnée à un rôle d’exécution, centrée sur la conformité et l’administration.
À l’inverse, dans les modèles plus horizontaux ou matriciels, elle se repositionne comme une interface stratégique, capable de piloter des dynamiques d’adaptation et d’apprentissage.
La gouvernance RH y devient une gouvernance du vivant : un espace de régulation où l’humain n’est plus géré, mais accompagné.
Cette bascule s’observe particulièrement dans les entreprises internationales qui opèrent dans des environnements multiculturels.
L’enjeu interculturel : un langage commun entre siège et filiales
Dans un contexte France - Allemagne notamment, la terminologie RH prend une valeur symbolique forte.
🇫🇷 En France, la fonction RH conserve une dimension culturelle héritée du social et du juridique : elle incarne la régulation et la protection.
🇩🇪 En Allemagne, la situation est différente. Les termes comme Personalabteilung (service du personnel) restent largement privilégiés, surtout dans les PME et auprès des salariés, car ils sont perçus comme plus authentiques et crédibles que des appellations modernes telles que People & Culture.
Un exemple concret est Decathlon Allemagne : même en tant qu’entreprise innovante, elle conserve le terme Ressources Humaines pour sa filiale locale, par respect des usages et pour éviter une rupture culturelle. Cette approche facilite l’acceptation interne et la cohérence avec les pratiques managériales locales, tout en maintenant une communication internationale harmonisée.
Dans un groupe binational, le simple choix d’un intitulé — Human Transformation, People & Culture, Talent Strategy — peut orienter la perception du rôle du département au siège comme dans les filiales.
👉 Changer de nom devient alors un acte diplomatique : il permet d’instaurer un langage commun, porteur de sens partagé et de cohérence interculturelle.
Clarifier le mandat de la gouvernance RH
Refonder la gouvernance RH suppose de clarifier son mandat. Trois mouvements s’imposent :
🔹D’abord, replacer la fonction RH au cœur des décisions stratégiques, en l’associant en amont à la définition des orientations de l’entreprise.
🔹Ensuite, élargir son périmètre d’influence au-delà des processus internes, vers la culture, la raison d’être et la cohérence managériale.
🔹Enfin, revisiter son identité symbolique : ce que le mot “H” signifie vraiment. Est-il encore synonyme de “ressource” ou devient-il celui d’“humain” ? De cette réponse dépend la capacité de l’entreprise à mobiliser l’intelligence collective et à renforcer sa résilience.
Vers une gouvernance du sens et de la cohérence
La refondation de la gouvernance RH n’est donc pas une question de terminologie, mais de leadership. Elle interroge la manière dont l’organisation distribue le pouvoir d’agir, définit la valeur et conçoit la relation entre performance et humanité. En changeant de nom, le département RH ne cherche pas à se donner une nouvelle image ; il redéfinit sa raison d’être. Il s’affirme comme un pilier de la gouvernance, capable de relier les dimensions économiques, sociales et culturelles de l’entreprise. Cette évolution ne se décrète pas : elle se construit dans la durée, à travers des décisions cohérentes, une posture d’influence et une capacité à incarner la transformation.
Conclusion : refonder la gouvernance RH, c’est refonder l’entreprise
À terme, la réussite de cette refondation dépendra de la maturité collective à considérer la fonction RH non plus comme un centre de coûts ou un service support, mais comme une instance de pilotage stratégique.
Le changement de langage agit alors comme un signal fort : il traduit une évolution de la gouvernance vers un modèle plus agile, plus humain et plus responsable.
Dans un monde incertain, la robustesse organisationnelle repose moins sur les structures que sur la qualité du lien. Et ce lien, aujourd’hui, se construit d’abord dans la gouvernance RH.
Sources :
Aline Scouarnec, professeure, IAE de Caen, expertise gouvernance RH et transformation organisationnelle
McKinsey (2024), The HR Advantage: How Top Companies Turn Human Resources into a Growth Engine
LinkedIn / ANDRH (2025), Global Talent Trends.
ARH (2024), Enquête sur la transformation des métiers RH.
Decathlon (2023), Rapport RSE – People & Culture et rétention des talents.
Doctolib (2023), Rapport RSE – People & Impact et satisfaction collaborateurs.
Forum Franco-Allemand (2025), études sur la terminologie RH et les perceptions interculturelles.
Les Échos (2024), article sur Sanofi et la refonte des départements RH internationaux.
L’Oréal (2023), Rapport RSE – People & Culture et engagement international.
Gallup (2023), State of the Global Workplace.
ChooseMyCompany (2025), étude sur l’attractivité des appellations RH.

